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Paris le 7 aout 1891
Deux mots au galop Mon Cher Eugène, je t’écrirai plus longuement dans deux ou trois jours : De Groux se trouve dans une
dêche profonde & il faudrait le tirer un peu de là, si tu peux. Voici ce qui se
passe pour l’instant : Je l’ai mis en rapport avec un de mes amis Mr
Brunel, un
ingénieur qui fait de la peinture d’amateur, – pas dangereuse ; qui est un fort aimable
garçon, ingénieur à Fontainebleau
de son état, & qui cherchait un artiste pour occuper avec lui un joli petit atelier
qu’il a loué au centre de Paris « pas cher ». J’ai proposé l’affaire à de Groux, qui cherche un coin où reposer sa
tête, un peu démoralisée par le manque de vol, & il a accepté avec enthousiasme. Ce
serait pour sa quotepart une affaire d’une centaine de frs par trimestre, & jamais
il ne trouvera pareille occasion : un atelier dans une maison propre, rue St Marc au centre, près des boulevards, un coin où il peut faire
monter un amateur ou un marchand sans honte, & sans que le susdit amateur ou
marchand ne lui offre, sentant la dêche, dix francs de ce qui en vaut cinq cents.
Mais – il doit de l’argent à son hôtel, & pas mal ! N’y aurait-il pas moyen
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de lui obtenir, par Émile
Leclercq qui est employé aux Beaux-Arts ; l’ancien ami intime du père de de Groux, un secours
d’argent pour lui ? (on en donne à titre d’avance sur des
travaux ou des commandes à exécuter.) ou de lui placer quelque toile ? Je t’écrirai
longuement ce que je pense de ce bon de Groux. Sa santé est délicate, & il me
paraît assez affaibli par la mauvaise nourriture & probablement des privations de
toutes sortes. Tâche de venir à son aide. Je t’écrirai dans quelques jours, & je te
mettrai plus au courant de la situation. De Groux est un
artiste très intéressant, mais pour l’instant, ici, son œuvre est invendable. – Que penses-tu de son idée de rester à Paris ? Mais il y tient !
Ne le laisse pas, & ne me laisse pas sans nouvelles de toi. Il y a bien longtemps
que je dois t’écrire & que je dois t’envoyer des eaux-fortes. Excuse toutes ces
incorrections. J’ai été très très embêté, « cause de femme » !
Cela ne finira que lorsque je me serai fait guillotiner la queue. J’irai peut-être
quelques jours en Belgique fin septembre, mais
moi aussi je suis assez dèchard !! J’ai mangé des ors sérieux en Bretagne, d’o[ù] je viens, & je
dois trimer sur des dessins qui m’embêtent à cette heure : Cette éternelle &
indéfinie illustration du Zadig de Voltaire qui me crève ! Enfin !
elle sera bientôt terminée, & l’on ne me reprendra plus à ce jeu là !
À
bientôt Mon Cher Eugène &
belles amitiés à tous les tiens.
Félÿ
Monsieur
Eugène Demolder
avocat
61. Quai du Hainaut.
Bruxelles
Belgique
Eugène Demolder
avocat
61. Quai du Hainaut.
Bruxelles
Belgique